A mon frère Phébus Ravel, Sergent mitrailleur
« Sur les reins vigoureux du mulet nonchalant
Qui gravit le sentier abrupt et granitique
La mitrailleuse va, telle une reine antique,
Son escorte la suit de son pas indolent.
Leur mousqueton au dos sur la toile de tente,
Les mitrailleurs s'en vont aux postes avancés,
Malgré Noël qu'on fête et les chemins glacés,
Embusquer au créneau la frêle combattante.
Halte le muletier ! On décharge le bat,
Car voici le boyau zigzagant vers la crête,
C'est ici pour l'instant que la France s’arrête
Et que depuis l'avril, on s'égorge, on se bat.
Tournant les pare-éclats, tireurs, chargeurs, bons drilles
Pourvoyeurs aux doigts gourds, aux visages gercés
Cheminant en les flancs des prés bouleversés
Par les gros crapouillots et les lourdes torpilles
Ils arrivent ! L'abri regorge de bidons,
D'armes, de couvre-pieds, de musettes boueuses
Où viendront banqueter les souris maraudeuses
Avides de festins et de doux édredons.
La nuit plane sur nous, glaciale et sans lune
Mais le vieux Mars poursuit le colossal duel
Bien que ce soit l'hiver et que ce soit Noël
Que l'on chante là-bas au fond de la nuit brune...
Ecoutez au lointain les jolis carillons
Du vieux clocher lorrain quelque part sur la Meuse...
Notre cloche 0 Noël, c'est notre mitrailleuse
Noël ! Le vent du soir pleure dans les sillons. »
Des tranchées, 25 décembre 1915 :
Sirius Ravel.